La légende de l’Escargot

En ce siècle des Lumières, des heures sombres nous ont guettés.

Moi, Jacques, boulanger du hameau de Saint-Pargoire, je puis vous conter le fléau qui s’abattit sur nous il y a de cela quelques années à peine, au début de ce siècle.

Un hiver rigoureux gela nos cultures et nos vergers, et fut suivi de nouvelles gelées printanières qui achevèrent de réduire à néant toutes nos semences. Le prix des céréales se mit à flamber. Les petites gens ruinèrent leurs misérables économies dans les maigres achats du blé restant. Bientôt, la famine s’installa, brutale et impitoyable.

Moi-même, en tant que boulanger, n’avais plus de quoi nourrir mes enfants, au nombre de six. Je raclais dans le fond de ma boutique la poussière laissée par les silos de l’année précédente.

Déjà dans le village s’éteignaient des vies, des vieillards surtout, et des nourrissons. Je craignais pour la propre vie de mon épouse, ma douce Marianne, qui portait notre septième enfant. Et cela, jusqu’à ce soir d’août, où l’on vit de gros nuages s’amonceler au-dessus des collines. 


Comme la pluie serait bienvenue ! La campagne alentour avait bien des ressources cachées qui n’attendaient qu’un peu d’eau pour s’offrir à nos ventres affamés.

Dans la nuit, l’orage éclata, énorme. Nous n’attendîmes que l’aube, frémissants, pour nous ruer dans les chemins avec maints paniers et cageots. Pendant des heures, nous fouillâmes les fourrés, ratissâmes les bords de sentiers. Et nous revînmes au village exténués, mais rapportant assez d’escargots pour avoir de quoi subsister pendant plusieurs mois. Car il suffit ensuite, on le sait, de les conserver dans des caisses et de les nourrir régulièrement de feuilles pour qu’ils restent en vie, et d’en prélever la quantité que l’on veut pour les cuisiner.

C’est ainsi que l’escargot, ce petit animal placide et silencieux, fut le miracle de Saint-Pargoire. Depuis lors nous rendons hommage chaque année à l’Escargot.